Aller à Garonne est une expression du Sud-Ouest. Autrefois, aujourd'hui peut-être encore, lorsque l'été était trop chaud, les familles d'Agen et d'ailleurs descendaient près de la rivière Garonne pour prendre un peu de fraîcheur. Cela évitait aux garçons de sauter du pont pour se rafraîchir… quoiqu'il paraît que mon grand-père, ses cousins le firent plus d'une fois ! La famille possédait une petite maison, pas un cabanon, une maisonnette de pierre de confort rustique et simple. Somme toute, très élégant.
Mais ce soir, envie de changer le sens de cette expression. Par défi.
Récit - Eté 39 - L'Europe gronde - L'Europe a chaud.
Deux cadets, deux frères, je suis l'aîné. Nous faisons nos classes dans la même ville de garnison. Après quelques mois en caserne, première permission en ville. Direction une maison, maison un peu particulière. Les dames qu'on y trouve ne sont pas toujours des professionnelles. Et les messieurs, souvent leur mari, leur amant. Qui apprécient qu'un cadet vienne suppléer à leurs défaillances. Nous avons payé la première fois, plus jamais après. Nous y avons croisé même le médecin militaire, il nous a donné quelques conseils et remèdes pour éviter les inconvénients et rester gaillard. Avec mon frère, on s'est bien marré. Des remèdes pour rester gaillard ? Nul besoin. Surtout pour ce genre de situation. A la fois très classique et ...
L'été venu, première permission en famille. Tous réunis à la maison au bord de la rivière Garonne. Les hommes en costumes de lin clair, pantalon à pince, veste et cravate. Canotier ou panama. Les femmes en robe de coton à longue corolle, taille bien prise. Chapeau de paille. Nous sommes l'un à côté de l'autre, bien. Heureux. Le calme avant la tempête.
Soudain une autre famille arrive. Un couple et une jeune femme. Elle est grande, aérienne. Elle vole de l'un à l'autre, embrasse, salue les plus âgés avec respect. Nous aperçoit. S'écrie : -Oliv' ! Pat ! Que je suis heureuse de vous revoir. Elle nous claque deux grands baisers sur les joues, puis s'enfuit vers d'autres.
Je suis blanc. De rage. Pat me file un grand coup de coude. -Tu l'as reconnue, la cousine ?
Je gronde. -Ce n'est pas une cousine. Oui, c'est B.
Bien sur que j'ai reconnu la gamine effrontée qui hante mes nuit depuis mes quinze ans. Fille d'un proche, elle ne nous est pas liée par le sang, mais nous avons été élevés tout comme. Sauf qu'à quinze, cette fille était une garce. Elle nous a fait faire toute sorte de choses, grimper aux arbres pour chercher un nid, crapahuter dans les ronces pour des framboises, construire une cabane de princesse dans les châtaigniers. Tout ça pour qu'elle nous montre sa culotte.
Finalement, elle nous l'a montrée le dernier jour. Une culotte ancienne, un peu particulière, peu en portaient encore. Elle l'avait trouvé parmi les affaires de sa mère. La culotte assez large, comme un petit short, était fendue. On a vu. Les lèvres roses, un léger duvet et au dessus le voile de la toison brune. Elle nous a obligé à embrasser puis s'est sauvée. On est resté comme des couillons.
En fin de journée, tous à l'eau. Maillots de bains de coton d'autrefois. Je vois B. Je ne vois que B. Le bas arrondi de ses fesses fermes découvert par le maillot. Et les lèvres soulignées par le tissus mouillé. La poitrine n'est pas lourde, contrairement aux femmes du temps, elle est dressée, émouvante.
L'après-midi s'éteint. Nous restons entre jeunes pour ranger. Finalement, il ne reste qu'elle, occupée à faire la vaisselle. Et nous deux, occupés à bricoler nos vélos. Étonnant pour une fille aussi racée. Elle est si simple. La voir ménagère me bouleverse. Et j'enrage de ma faiblesse.
Dans un pot, de grandes tiges d'ajonc, j'en saisi une. Je fais signe à Pat. -J'ai envie de donner une leçon à notre allumeuse. Tu m'aides ?
Pat est pire que moi et plus dangereux. Il est lent mais devient monstre lorsqu'il lâche prise. Il sourit. - Comme dans la chambre Rouge ?
- Non, la chambre Noire.
Je suis près d'elle. Un petit coup sec sur les fesses rondes.
Hey ! Elle me regarde étonnée, sourit quand même.
-Vous vous souvenez de la dernière fois où nous nous sommes vus ?
- Oui, au mariage de … (intriguée)
- non… l'été.
…
- Je crois que vous méritez une petite correction pour votre conduite impertinente.
- Vraiment ? C'est plutôt vous qui étiez très mal élevés !
- Mal élevés ? Assurément ! Tout autant que toi. Pat ! Notre impertinente est rétive. Veux-tu bien m'aider ?
Pat est un fou. Je le sais. Il n'a plus peur de demain. Il sait que ce sera l'enfer. Il a déjà saisi une pelote de grosse ficelle. Il ne lui faut que quelques minutes pour lier les poignets de la belle, la traîner vers la grande pièce, l'accrocher bras levés à une poutre devant la cheminée. Elle ne s'est pas débattue. N'a pas protesté. Elle me défie d'un regard hautain. Quand Pat veut l'embrasser, elle lui crache au visage. Il lève une main. Je l'arrête.
- Non, pas elle. Elle est différente.
Je me mets face à elle. Tu acceptes ?
- Jamais ! Fais ce que tu veux, jamais je n'accepterai, jamais je ne pleurerai !
Elle a dit vrai. L'ajonc ne l'a pas fait pleurer. Nos griffures, nos morsures, nos mains brusques sur sa robe en lambeaux. Nos sexes dans ses mains délicates, dans sa bouche rebelle. Son corps sur la table. Sa toison arrosée de vin de Cahors au fort tanin, transformée en fontaine. Mais elle était déjà fontaine. Et elle se tait.
Nos langues fouillant tout au fond d'elle. Pat se branlant et jutant sur sa gorge. Et léchant comme un chien.
Je buvais un alcool fort et ambré. Je ne pouvais rien. Je bandais mais je ne pouvais rien. J'ai essayé de la pénétrer. Elle a hurlé. -Je suis fiancée… Ai pitié !
La retourner, l'écarter encore. Pat qui lui tient la nuque et me regarde. Mauvais ange.
- Laisse là ! Elle ne partira pas. Il s'abat sur le sofa, ivre mort.
La sentir enfin faible, abandonnée. L'entendre soudain gémir doucement. Voir les larmes couler. Enfin. Passer un bras sous son ventre, l'attirer à moi. Présenter mon gland contre son cul. La sentir me serrer le bras. Ne pas me repousser. M'inviter. La pénétrer lentement. Longuement.
Bien plus que jamais, plus que dans la maison. Enfin, je suis homme. Je le sens. Et je viens en elle, au fond d'elle.
Après la guerre, après ... Pat disparu. Moi... Oh moi, peu importe... J'ai su son courage, son dévouement. J'ai envoyé quelques fleurs. Espérant. Elle m'a fait passer un petit mot. Merci. Vous m'avez aidée à avoir le courage d'oser affronter l'enfer.
******
Aujourd'hui, je suis un vieux parisien nostalgique et comblé. Récemment, j'ai appris que le tgv me transporterait à Agen en quelques heures. Envie de revoir la Garonne. Affréter un taxi pour me conduire à la maisonnette près du fleuve, abandonnée par mon fils, bien trop occupé, son mariage, ses affaires.
Le portail est ouvert, une voiture inconnue. Quel intrus ose ? La porte est grande ouverte, la maisonnette est vide, triste, elle a perdu son âme. J'entends des éclats de voix. -Pourquoi ne cèdes-tu donc jamais ? Je t'aime comme un fou. Tu me pousses à bout.
Dans le salon, un homme torse nu, sportif, de dos, cravache à la main. Je le reconnais immédiatement. G. Mon fils. Et une grande femme brune, robe de velours pourpre en lambeaux, le corps luisant offert et tendu, pendu à la solive. Ses seins larges me font monter les larmes aux yeux. Sa toison n'a pas disparu comme le veut la mode. Ainsi, elle est femme. On dirait qu'elle sort de la rivière, les cheveux, la robe trempés, une flaque d'eau autour d'elle.
Elle croise mon regard. Elle hurle de rage.
Je tourne les talons.
- Rattrapes le !!! Par pitié.
Mon fils est derrière moi. Père ? Père !! Attendez. Attendez. Pour elle.
J'attends dehors, assis sur une souche. Ils arrivent. Chacun la quarantaine élégante. Fiers tout deux. Il l'a enlacée, la soutient pour marcher.
Père, permettez-moi de vous présenter H. la fille de B. Vous souvenez vous de B. J'ai rencontré sa fille à son ent…
-Oui ! Je me souviens de B. Je m'incline sur sa main. Juste l'effleurer de mes lèvres. A peine. Elle me serre un peu trop fort. Même regard trop fier. Même défi.
-Vas chercher la voiture. Je dois lui parler un moment. L'ordre est impératif. Il s'éloigne.
-J'ai su pour votre mère. Je n'ai pas pu venir. Votre mère, ici…
Je lui murmure quelques mots à l'oreille, la sent faiblir, l'entoure de mes bras.
- Laisse-toi aller. Tu es rebelle. Vous êtes faites du même marbre. Mais la faille est cachée. Si tu ne te laisses pas aller, tu te briseras.
G. revient. - Père, comment avez-vous fait ? Elle pleure enfin.
- Les mots, mon fils, les mots… sont plus forts que tout.
B
http://fr.youtube.com/watch?v=fwGHQ6WyQFU
A Garonne, Philippe Delerm, Nil, 2006
jeudi 22 novembre 2007
Aller à Garonne
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4 commentaires:
Très joli et même assez émmouvant, malgré la légèreté du ton.
"Si tu ne te laisses pas aller, tu te briseras."
Cette phrase sonne juste.
Le lien entre les générations a quelque chose de réconfortant, je trouve.
Merci.
Votre meilleur madame.
Votre meilleur...
Retrouvez moi chez moi, je vous confierai quelques mots.
Quelle émotion, quelle force, chère B.
Mon corps s'est couvert de frisson à la lecture de ce texte, merci!
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