Au-delà de la grande tristesse, qui laisse d'abord sans mot,
pas de haine ni de résignation, un deuil à faire, un de plus. et puis...
Quelle belle mort, quand même, que celle de mourir pour ses
idées, avec ses camarades de route et de lutte depuis 10, 20, 30 ou 40 ans !
Etant fermement convaincue qu'il n'y a rien, pas d'au-delà
ni d'Éden, ni d'Élysée, on se surprend quand même à le regretter un peu, pour
de tels esprits, si humaniste et libertaires, si universels et pire encore,
s'il était possible, si français franchouillards.
D'ailleurs, je les aurais bien vu festoyer aux Enfers
élyséens, ces poètes là.
Autant le dire franchement, je n'appréciais pas du tout le
trait de Wolinski ou son propos, ni n'était restée lectrice de Charlie Hebdo. L'homme m'intéressait un peu plus, justement
par ses contradictions.
Autant le dire avec grand humilité, Pilote, Hara Kiri,
l'Echo des savanes et le Canard Enchainé, bien sur, ont ouvert mes yeux d'ado sur
une autre représentation du réel, du monde, des hommes et de femmes, des idées
différentes, une manière de penser autrement.
Plus tard, il y a eu Fluide glacial et Actuel...
Pour le meilleur mais surtout pour le pire ! Y compris et
surtout l'érotisme et la pornographie.
et je ne parle pas seulement du cul.
Bah, rigoler entre autres, du sacré, du féminisme con-sacré,
de l'érotisme trash et du porno sanctifié... et des beaufs, ça fait du bien.
Pour reprendre le mot d'un autre dessinateur, en matant ces
dessins, je me suis "vue"(exister), je me suis rencontrée ! bien plus
que dans les belles images pieuses ou de papier glacé.
Indispensable et instructive confrontation, avec le goût du
fruit défendu, dans ma famille si catho et pourtant... anticléricale ! Paradoxe
de ces familles où l'on a, à la fois et forcément, une grand-tante religieuse,
un cousin jésuite ou dominicain (le pire n'est pas celui qu'on croit), et
quelques radicaux pur terroir sud-ouest.
Ça anime les longs repas du dimanche.
Et des livres et des magazines cachés mais pas si bien que
ça ! quand ils n'étaient pas exposés en pleine vue mais "interdits" à
la lecture...
Donc oui, il y avait ces journaux dans mon univers d'ado. Mon
grand-père, mes oncles n'étaient pas les derniers à partager cet humour grivois
et graveleux, tout autant que ce besoin de râler, pour tout et n'importe quoi (plutôt que s'indigner avec componction).
Et de se moquer des "couillons" de tous poils (et parfois, à poil).
Partageant cette inclinaison au dérisoire, à la dérision (dont je n'ai pas hérité, ça s'est scandaleux et très méchant !), à forcer
le trait de la caricature pour rire de la tragédie humaine ou sa divine comédie
plutôt que d'en pleurer, de s'en lamenter au comptoir du café du coin et
d'aller dormir tranquillement sous son édredon en plumes.
D'ailleurs la caricature politique ancienne était une des
passions de mon grand-père, chineur à ses heures perdues, qui m'emmenait
déjeuner dans un restaurant qui en affichait et dont la "mocheté" me
consternait bien avant de m'intéresser.
Car voilà, le choc du "pas beau", du difforme, du
ridicule, du hors norme, hors la norme et la bienséance, ça choque puis ça fait
réfléchir ! et ça donne à imaginer !
Autant dire que j'ai un goût singulier pour le dessin, pourtant bien incapable de dessiner moi-même.
Les dessinateurs, les illustrateurs, ont donc joué, très tôt,
un rôle important dans ma vie. Sentimental
aussi. Mes premiers émois pour un jeune homme qui faisait naître un univers "fantastique",
de bêtes-machines-anthropomorphes-sexy, de quelques coups de feutre sur un coin
de table... puis plus tard les architectes, les graphistes, les storyboardeurs...
Car il y a eu aussi une graphiste dans mon enfance, une amie
de ma mère. La encore, un éveil du
regard sur la forme et la couleur, le blanc et le vide, les oppositions et les
complémentaires, dans les objets du quotidien, les affiches. Une explication de "texte" de
l'image qui donnait à voir le faux pour recréer, extraire l'essentiel, la
vérité du réel.
Comme l'estampe du monde flottant et son cartouche
mystérieux, représentation infidèle et caricaturiste, souvent grossière et
exagérée, érotique et outrancière, si loin de l'esthétique en perspective
classique. Et pourtant si révélatrice...
En tant que gestionnaire de projet, le cas échéant, j'ai
d'ailleurs une approche mentale, conceptuelle bien plus visuelle et séquentielle,
de type storyboard, mathématique et algorithmique aussi, qu'écrite et globale.
Bien incapable d'utiliser un crayon, sinon pour du coloriage
ou de l'aquarelle (encore grâce au grand-père, grand aquarelliste lui même), il
m'est arrivé de corriger ou d'apporter mes mots à quelques projets d'envergure,
quelques phylactères et autres notules. Dans le souci d'épurer bien plus souvent
que de compléter. (capacité qu'au vu de la longueur de ce texte, je semble
avoir perdu !)
Car la force du dessin, d'un dessin, est aussi de se suffire
à lui-même, comme une photo, mais en s'exonérant du réel.
Mercredi, la réalité s'est imposé cruellement. Acte bête et
méchant ? au risque de choquer, je dirais non, ni violence gratuite, mais au
contraire fort et beau. Pour les victimes.
Ou le tout, bête, méchant, fort et beau. Mais aussi fort que cela soit, il ne faut pas
oublier ce qui tue tout autant.
Je me souviens des difficultés matérielles des dessinateurs,
le manque d'argent, le manque de visibilité, d'audience et d'amateurs, le peu
de reconnaissance du public, le peu de courage des éditeurs (sauf certains, et
parfois à contre-emploi, n'est-ce pas Michel L ?).
Qui n'a jamais rempli un caddie chez R&P de gomme mie de
pain, mines et rouleaux de calque pour quelqu'un qui avait une fin de mois
difficile, battu le pavé rue Lecourbe à l'aurore pour quelques indispensables feuilles
double raisin (double quoi ??? t'es certain qu'il a dit double raisin ? M...
j'ai oublié, je sais plus, moi ! en tout cas, c'est grand) ou encore formé une
expédition à 3 h du matin pour cet imprimeur ou atelier de reprographie assez
louche du XIXè, ouvert la nuit, afin de livrer en temps et en heure un projet, ignore
le sel de la chose.
Ne nous leurrons pas sur la difficulté d'en vivre, qui plus
est pour un métier, sinon un art, qui franchement, ne fait pas très sérieux !
Rien ne tue plus un dessinateur que la nécessité de se
vendre. Sauf une balle ou deux.
Les nouvelles technologies, en créant des outils qui exonèrent du
support matériel, démultiplient les possibles, ont changé une partie de la problématique, mais en diffusant
"gratuitement" les œuvres, si le www les a rendues plus visibles, il ne les a pas rendues plus rémunératrices, à ma connaissance.
Le crowdfunding n'est que la forme moderne de la vente par
souscription. En la matière, je ne suis
pas particulièrement optimiste sur son succès, à l'instar de l'ancienne
formule.
Pragmatique, je suis.
Il faut du courage pour publier et être publié.
Il faut plus que la ténacité pour établir, valoriser,
défendre et préserver le droit d'auteur (et le droit moral d'une œuvre).
Alors vient l'autocensure, bien avant la censure, moins
mortelle à terme que le manque de moyens, plus sécuritaire que l'audace,
l'insolence et la provocation, mais certainement plus pernicieuse et non moins
fatale à l'âme de l'artiste et à celle du spectateur.
Mais pour être honnête, il faut quand même relever un
paradoxe, dire que ce besoin de bouffer les a aussi rendus plus visibles du
grand public, à la télé de mon enfance notamment ; il fallait un certain
courage pour inviter ces caricaturistes à dessiner "en direct" au
risque de choquer le public, et pire encore, de le faire réfléchir !
La nature humaine et sa volonté de détourner la censure, de
faire vivre les artistes, camarades ou pas, est plus complexe qu'il n'y parait.
Il y a une fraternité chez les gens de l'image. Chez les gens de lettres.
(pas forcément une conscience, et parfois un certain
machiavélisme, mais c'est un autre débat)
N'est-ce pas cela, aussi que l'on veut tuer ?
Certes, il reste les mots... mais encore faut-il qu'on
laisse apprendre à lire ! (n'oublions pas les 200 ou 300 jeunes femmes encore
aujourd'hui otages d'un groupe qui refuse l'instruction et que personne ne
semble capable d'aller récupérer)
Interdire de représenter les dieux, ou leurs prophètes ou
prêcheurs, est loin d'être anodin.
Flouter les caricatures est le dernier avatar de l'iconoclasme.
Heureusement on s'en indigne aujourd'hui. Cela agit comme un
révélateur de la bienséance "politiquement correcte" qui voulant
épargner toutes les sensibilités ne fait qu'insulter l'intelligence humaine.
Angélique, moi ? si peu...
Fraternité des gens de la presse qui donnent aujourd'hui des
moyens à un journal qu'ils regardaient souvent avec condescendance, comme le
copain un peu pauvre, négligé, décalé et "original", casse-pied dans
ses convictions, benêt dans son humanisme pacifiste, cruel dans sa satire offensive
et offensante, rigolo et lunaire, lunatique et si clairvoyant, dérangeant dans
sa lucidité tout comme sa vulgarité.
Chacun mène sa guérilla comme il peut, contre les démons
qu'il se choisit ou qui s'imposent. Avec
arrogance ou humilité, c'est selon. Le cigare est en plus.
Je n'oublie pas dans cette tristesse, l'économiste qui,
comme ses pairs, prêchait dans la cacophonie des intellos à une assemblée contrite
et distraite de politiques sourds (et mal voyants...) ni les autres moins
célèbres, les policiers ou travailleurs.
Finalement, si un coup de pied au cul n'a jamais rien
appris au politique, et l'on sait combien ceux-là aimaient en donner, une telle
baffe sur la figure, le sang versé, ça changera quelque chose.
Naïve, moi ? beaucoup...
A dire vrai, je ne crois pas à un quelconque réveil des
politiques qui marcheront demain pour les caricaturistes qui, s'ils n'étaient
pas déjà trépassés, en seraient morts... de rire !
Ou de consternation à s'en taper la tête contre les murs. Je
crois qu'ils se seraient mis à leur suite, le pied haut levé en bonne position
pour leur botter les fesses (et pas que le pied levé peut-être !)
Je vais abonner mon fils à Charlie Hebdo, il lit déjà
Causette... ça lui fera un autre point de vue.
Moi je reste avec Charlie Brown, faut pas déconner...
l'érotisme subversif et la pornographie humoristique, voire les idées
dérangeantes, c'est désormais bien trop pour ma tension ! quoique...
Quelle belle mort, quand même, que celle de mourir pour ses
idées, avec ses camarades de route et de lutte depuis 10, 20, 30 ou 40 ans !
(40 ans déjà, zut ! bon on repart pour 40 de plus, plus fort alors ! faut juste garder les idées... différentes, dérangeantes, et surtout claires... voire con-cises, là c'est pas gagné)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire