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samedi 10 janvier 2015

T'es pas mort, Charlie !



Au-delà de la grande tristesse, qui laisse d'abord sans mot, pas de haine ni de résignation, un deuil à faire, un de plus. et puis...

Quelle belle mort, quand même, que celle de mourir pour ses idées, avec ses camarades de route et de lutte depuis 10, 20, 30 ou 40 ans !

Etant fermement convaincue qu'il n'y a rien, pas d'au-delà ni d'Éden, ni d'Élysée, on se surprend quand même à le regretter un peu, pour de tels esprits, si humaniste et libertaires, si universels et pire encore, s'il était possible, si français franchouillards.

D'ailleurs, je les aurais bien vu festoyer aux Enfers élyséens, ces poètes là.

Autant le dire franchement, je n'appréciais pas du tout le trait de Wolinski ou son propos, ni n'était restée lectrice de Charlie Hebdo.  L'homme m'intéressait un peu plus, justement par ses contradictions.

Autant le dire avec grand humilité, Pilote, Hara Kiri, l'Echo des savanes et le Canard Enchainé, bien sur, ont ouvert mes yeux d'ado sur une autre représentation du réel, du monde, des hommes et de femmes, des idées différentes, une manière de penser autrement.

Plus tard, il y a eu Fluide glacial et Actuel...

Pour le meilleur mais surtout pour le pire ! Y compris et surtout l'érotisme et la pornographie.  et je ne parle pas seulement du cul.

Bah, rigoler entre autres, du sacré, du féminisme con-sacré, de l'érotisme trash et du porno sanctifié... et des beaufs, ça fait du bien.

Pour reprendre le mot d'un autre dessinateur, en matant ces dessins, je me suis "vue"(exister), je me suis rencontrée ! bien plus que dans les belles images pieuses ou de papier glacé.

Indispensable et instructive confrontation, avec le goût du fruit défendu, dans ma famille si catho et pourtant... anticléricale ! Paradoxe de ces familles où l'on a, à la fois et forcément, une grand-tante religieuse, un cousin jésuite ou dominicain (le pire n'est pas celui qu'on croit), et quelques radicaux pur terroir sud-ouest.  Ça anime les longs repas du dimanche.

Et des livres et des magazines cachés mais pas si bien que ça ! quand ils n'étaient pas exposés en pleine vue mais "interdits" à la lecture...

Donc oui, il y avait ces journaux dans mon univers d'ado. Mon grand-père, mes oncles n'étaient pas les derniers à partager cet humour grivois et graveleux, tout autant que ce besoin de râler, pour tout et n'importe quoi (plutôt que s'indigner avec componction). 

Et de se moquer des "couillons" de tous poils (et parfois, à poil).

Partageant cette inclinaison au dérisoire, à la dérision (dont je n'ai pas hérité, ça s'est scandaleux et très méchant !), à forcer le trait de la caricature pour rire de la tragédie humaine ou sa divine comédie plutôt que d'en pleurer, de s'en lamenter au comptoir du café du coin et d'aller dormir tranquillement sous son édredon en plumes.

D'ailleurs la caricature politique ancienne était une des passions de mon grand-père, chineur à ses heures perdues, qui m'emmenait déjeuner dans un restaurant qui en affichait et dont la "mocheté" me consternait bien avant de m'intéresser.

Car voilà, le choc du "pas beau", du difforme, du ridicule, du hors norme, hors la norme et la bienséance, ça choque puis ça fait réfléchir ! et ça donne à imaginer !

Autant dire que j'ai un goût singulier pour le dessin, pourtant bien incapable de dessiner moi-même.

Les dessinateurs, les illustrateurs, ont donc joué, très tôt, un rôle important dans ma vie.  Sentimental aussi. Mes premiers émois pour un jeune homme qui faisait naître un univers "fantastique", de bêtes-machines-anthropomorphes-sexy, de quelques coups de feutre sur un coin de table... puis plus tard les architectes, les graphistes, les storyboardeurs... 

Car il y a eu aussi une graphiste dans mon enfance, une amie de ma mère.  La encore, un éveil du regard sur la forme et la couleur, le blanc et le vide, les oppositions et les complémentaires, dans les objets du quotidien, les affiches.  Une explication de "texte" de l'image qui donnait à voir le faux pour recréer, extraire l'essentiel, la vérité du réel.

Comme l'estampe du monde flottant et son cartouche mystérieux, représentation infidèle et caricaturiste, souvent grossière et exagérée, érotique et outrancière, si loin de l'esthétique en perspective classique. Et pourtant si révélatrice...

En tant que gestionnaire de projet, le cas échéant, j'ai d'ailleurs une approche mentale, conceptuelle bien plus visuelle et séquentielle, de type storyboard, mathématique et algorithmique aussi, qu'écrite et globale.

Bien incapable d'utiliser un crayon, sinon pour du coloriage ou de l'aquarelle (encore grâce au grand-père, grand aquarelliste lui même), il m'est arrivé de corriger ou d'apporter mes mots à quelques projets d'envergure, quelques phylactères et autres notules. Dans le souci d'épurer bien plus souvent que de compléter. (capacité qu'au vu de la longueur de ce texte, je semble avoir perdu !)

Car la force du dessin, d'un dessin, est aussi de se suffire à lui-même, comme une photo, mais en s'exonérant du réel.

Mercredi, la réalité s'est imposé cruellement. Acte bête et méchant ? au risque de choquer, je dirais non, ni violence gratuite, mais au contraire fort et beau. Pour les victimes.

Ou le tout, bête, méchant, fort et beau.  Mais aussi fort que cela soit, il ne faut pas oublier ce qui tue tout autant.

Je me souviens des difficultés matérielles des dessinateurs, le manque d'argent, le manque de visibilité, d'audience et d'amateurs, le peu de reconnaissance du public, le peu de courage des éditeurs (sauf certains, et parfois à contre-emploi, n'est-ce pas Michel L ?). 

Qui n'a jamais rempli un caddie chez R&P de gomme mie de pain, mines et rouleaux de calque pour quelqu'un qui avait une fin de mois difficile, battu le pavé rue Lecourbe à l'aurore pour quelques indispensables feuilles double raisin (double quoi ??? t'es certain qu'il a dit double raisin ? M... j'ai oublié, je sais plus, moi ! en tout cas, c'est grand) ou encore formé une expédition à 3 h du matin pour cet imprimeur ou atelier de reprographie assez louche du XIXè, ouvert la nuit, afin de livrer en temps et en heure un projet, ignore le sel de la chose.

Ne nous leurrons pas sur la difficulté d'en vivre, qui plus est pour un métier, sinon un art, qui franchement, ne fait pas très sérieux !

Rien ne tue plus un dessinateur que la nécessité de se vendre. Sauf une balle ou deux.

Les nouvelles technologies, en créant des outils qui exonèrent du support matériel, démultiplient les possibles, ont changé une partie de la problématique, mais en diffusant "gratuitement" les œuvres, si le www les a rendues plus visibles, il ne les a pas rendues plus rémunératrices, à ma connaissance.

Le crowdfunding n'est que la forme moderne de la vente par souscription.  En la matière, je ne suis pas particulièrement optimiste sur son succès, à l'instar de l'ancienne formule.

Pragmatique, je suis.

Il faut du courage pour publier et être publié.

Il faut plus que la ténacité pour établir, valoriser, défendre et préserver le droit d'auteur (et le droit moral d'une œuvre).

Alors vient l'autocensure, bien avant la censure, moins mortelle à terme que le manque de moyens, plus sécuritaire que l'audace, l'insolence et la provocation, mais certainement plus pernicieuse et non moins fatale à l'âme de l'artiste et à celle du spectateur.

Mais pour être honnête, il faut quand même relever un paradoxe, dire que ce besoin de bouffer les a aussi rendus plus visibles du grand public, à la télé de mon enfance notamment ; il fallait un certain courage pour inviter ces caricaturistes à dessiner "en direct" au risque de choquer le public, et pire encore, de le faire réfléchir !

La nature humaine et sa volonté de détourner la censure, de faire vivre les artistes, camarades ou pas, est plus complexe qu'il n'y parait. Il y a une fraternité chez les gens de l'image. Chez les gens de lettres.

(pas forcément une conscience, et parfois un certain machiavélisme, mais c'est un autre débat)

N'est-ce pas cela, aussi que l'on veut tuer ?

Certes, il reste les mots... mais encore faut-il qu'on laisse apprendre à lire ! (n'oublions pas les 200 ou 300 jeunes femmes encore aujourd'hui otages d'un groupe qui refuse l'instruction et que personne ne semble capable d'aller récupérer)

Interdire de représenter les dieux, ou leurs prophètes ou prêcheurs, est loin d'être anodin.  Flouter les caricatures est le dernier avatar de l'iconoclasme.

Heureusement on s'en indigne aujourd'hui. Cela agit comme un révélateur de la bienséance "politiquement correcte" qui voulant épargner toutes les sensibilités ne fait qu'insulter l'intelligence humaine.

Angélique, moi ? si peu...

Fraternité des gens de la presse qui donnent aujourd'hui des moyens à un journal qu'ils regardaient souvent avec condescendance, comme le copain un peu pauvre, négligé, décalé et "original", casse-pied dans ses convictions, benêt dans son humanisme pacifiste, cruel dans sa satire offensive et offensante, rigolo et lunaire, lunatique et si clairvoyant, dérangeant dans sa lucidité tout comme sa vulgarité.

Chacun mène sa guérilla comme il peut, contre les démons qu'il se choisit ou qui s'imposent.  Avec arrogance ou humilité, c'est selon. Le cigare est en plus.

Je n'oublie pas dans cette tristesse, l'économiste qui, comme ses pairs, prêchait dans la cacophonie des intellos à une assemblée contrite et distraite de politiques sourds (et mal voyants...) ni les autres moins célèbres, les policiers ou travailleurs.

Finalement, si un coup de pied au cul n'a jamais rien appris au politique, et l'on sait combien ceux-là aimaient en donner, une telle baffe sur la figure, le sang versé, ça changera quelque chose.

Naïve, moi ? beaucoup...

A dire vrai, je ne crois pas à un quelconque réveil des politiques qui marcheront demain pour les caricaturistes qui, s'ils n'étaient pas déjà trépassés, en seraient morts... de rire !

Ou de consternation à s'en taper la tête contre les murs. Je crois qu'ils se seraient mis à leur suite, le pied haut levé en bonne position pour leur botter les fesses (et pas que le pied levé peut-être !)

Je vais abonner mon fils à Charlie Hebdo, il lit déjà Causette... ça lui fera un autre point de vue. 

Moi je reste avec Charlie Brown, faut pas déconner... l'érotisme subversif et la pornographie humoristique, voire les idées dérangeantes, c'est désormais bien trop pour ma tension ! quoique...  

Quelle belle mort, quand même, que celle de mourir pour ses idées, avec ses camarades de route et de lutte depuis 10, 20, 30 ou 40 ans !

(40 ans déjà, zut ! bon on repart pour 40 de plus, plus fort alors ! faut juste garder les idées... différentes, dérangeantes, et surtout claires... voire con-cises, là c'est pas gagné)




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